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L’enseignement de l’évolution des espèces vivantes à l’école primaire française. Rapports au savoir d’enseignants et d’élèves de cycle 3. Corinne Jégou-Mairone Directeur de thèse : Jean-Jacques DUPIN Cognition – Langage – Education UMR Apprentissage, Didactique, Evaluation, Formation.
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L’enseignement de l’évolution des espèces vivantes à l’école primaire française. Rapports au savoir d’enseignants et d’élèves de cycle 3. Corinne Jégou-Mairone Directeur de thèse : Jean-Jacques DUPIN Cognition – Langage – Education UMR Apprentissage, Didactique, Evaluation, Formation
Introduction : contexte du questionnement • 2009, année Darwin : 200ème anniversaire de sa naissance, 150ème anniversaire de la première édition de « L’origine des espèces » • Évolution, concept fondateur de la biologie moderne. « Rien n’a de sens en biologie si ce n’est à la lumière de l’évolution » - Dobzhansky (1973) • Un concept en évolution, objet de débats dans la communauté scientifique qui témoignent de sa complexité et de sa vitalité • Un objet d’enseignement mais un sujet délicat à enseigner car un sujet médiatisé dès la fin du 19ème siècle ; récentes offensives anti-évolutionnistes en Europe (Yahya, 2006)
Évolution, un sujet qui croise des questions de société délicates et dont l’enseignement peut être un terrain d’affrontement privilégié du registre scientifique avec les registres culturels et religieux.
Question de départ Elle porte sur le rapport au savoir « Évolution des êtres vivants » chez des enseignants et des élèves du cycle 3 de l’école primaire française.
Un regard scientifique • Histoire du concept et genèse de la théorie : une vision de l’émergence des idées évolutionnistes • La science de l’évolution, une science à part entière et une science à part : différents régimes de preuves, expérimental et historique • Une représentation graphique du concept d’évolution
Évolution des êtres vivants Qui est contestée par les créationnistes Qui intègre l’influence de l’environnement Théorie scientifique Qui a une histoire Qui explique la biodiversité Qui s’inscrit dans un temps long Qui explique l’origine des espèces
Un regard sur la société et le concept d’évolution • Évolution, un mot du langage courant : terme polysémique qui entretient, notamment, la confusion entre évolution et progrès • Une résistance au darwinisme depuis le 19ème siècle, toujours vivace au 21ème : attaques de front (Yayha, 2006) ou attaques plus insidieuses depuis une dizaine d’années (Intelligent Design)
Un regard didactique : conceptions et obstacles à l’enseignement, à l’apprentissage • Chez les enseignants • Peu d’études, la plupart anglosaxonnes • Biohead Citizen (2007) : liens significatifs entre connaissances sur l’évolution et spécialisation des enseignants, entre culture d’origine et conception évolutionniste • Chez les élèves de l’école primaire • Encore moins d’études (Crépin, 2002) • Aucune conception fixiste ou créationniste décelée • Des obstacles formulés : temps, polysémie, confusion cycle de vie/évolution, ancêtre, espèce
Une référence au rapport au savoir Un objet de savoir Évolution des êtres vivants Institution II Rapport institutionnel II Institution I Rapport institutionnel I La classe L’école, les programmes Professeur P1 Rapport personnel 1 Élève 2 Rapport personnel 2 Professeur P2 Rapport personnel 2 Élève 3 Rapport personnel 3 Élève 1 Rapport personnel 1
Un objet de savoir Évolution des êtres vivants Institution I Rapport institutionnel I Institution II Rapport institutionnel II L’école, les programmes La classe Professeur P1 Rapport personnel 1 Élève 2 Rapport personnel 2 Professeur P2 Rapport personnel 2 Élève 1 Rapport personnel 1 Élève 3 Rapport personnel 3 Autres institutions (famille, …)
Un savoir à enseigner, un enseignement délicat • Les programmes • Avant juin 2008 : textes peu explicites et rôle important dévolu aux fossiles comme témoins de l’évolution ; évolution en tant qu’idée à suggérer (Orange, 2008). Cette étude s’inscrit dans ce cadre. • Après juin 2008 : disparition de toute référence explicite à l’évolution sans, toutefois, la disparition du concept d’évolution (biodiversité, classification, adaptation) • Le socle commun de connaissances et de compétences (2006) : « l’enseignement des sciences contribue à faire comprendre aux élèves la distinction entre faits et hypothèses d’une part, opinions et croyances d’autre part »
Question de recherche Le rapport personnel au savoir « Évolution des êtres vivants » a-t-il une influence tant sur l’acte d’enseigner que sur l’acte d’apprendre ?
Enseignants • Un questionnaire papier-crayon soumis à 123 enseignants (experts et stagiaires) de cycle 3 • Le questionnaire : 48 questions (fermées et ouvertes) en 4 parties • 1ère partie : indicateurs dont formation initiale, engagements/croyances (H2 : programme peu explicite, H3 : enseignants et institutions) • 2ème partie : état des connaissances (H1 : savoir complexe) • 3ème partie : origine des connaissances (H2) • 4ème partie : enseignement déclaré (H2, H3)
Composition de l’échantillon enseignant (N = 123)1 individu = 0,78% 61% déclarent ne se référent à aucun courant de pensée (philosophique, politique, pédagogique), 76% sont sans référence religieuse
Élèves • Un questionnaire papier-crayon soumis à 280 élèves de cycle 3 • Le questionnaire : 26 questions dont 14 questions fermées et 12 questions ouvertes • Contenus des questions : recherche de connaissances effectives sur l'évolution (H5 : pensée évolutionniste de la société française), dualité Homme-Animal (H5), influence d'institutions extrascolaires (H5, H6 : élèves et institutions)
Composition de l’échantillon élèves (N= 280)1 individu = 0,35%12 classes réparties dans 10 écoles 3 3 des 10 écoles accueillent une population d’élèves plutôt favorisés (35%), 5 une population d’élèves plutôt défavorisés (51%), 2 une population d’élèves mélangés (14%).
Les enseignants et l’évolution • De grandes tendances (résultats significatifs) • Adhésion très majoritaire à l’idée d’évolution (96%) • Référence à une théorie scientifique (87%), à la théorie de l’évolution (82%) • Arguments pertinents (60%) • Rejet d’une approche non scientifique ( 67%) • Une carte conceptuelle des connaissances des enseignants
Flèches rouges : points communs avec la carte conceptuelle du savoir savant Flèches bleues : différences avec la carte conceptuelle du savoir savant
Évolution des êtres vivants Qui est contestée par les créationnistes Qui intègre l’influence de l’environnement Théorie scientifique Qui a une histoire Qui explique les adaptations Qui s’inscrit dans un temps long Qui est argumentée par des traces fossiles
Les enseignants et l’évolution • Deux groupes qui révèlent des rapports personnels au savoir évolution relativement typés : • Un « rapport scientifique » : des connaissances qui permettent d’argumenter et d’accepter l’évolution et sa théorie de façon active • Un « rapport de confiance » : pas de connaissances précises et solides mais une confiance dans les scientifiques qui ont établi la théorie et ses fondements. • Enseigner l’évolution à l’école primaire ? • 2/3 déclarent enseigner l’évolution, contredisant l’idée que cette partie du programme serait oubliée • 57% déclarent leurs connaissances insuffisantes • 74% déclarent avoir construit leurs connaissances grâce aux médias, audiovisuels notamment • Pas de liens significatifs entre le fait d’enseigner ou non l’évolution et le niveau de formation, le niveau des élèves ou l’ancienneté
Les élèves et l’évolution(extraits du questionnaire) Q13a : voici 3 affirmations : avec laquelle es-tu d’accord ? • A. L’Homme, le singe et tous les êtres vivants sont le résultat d’une évolution et cette évolution est entièrement soumise au hasard et à la sélection naturelle • B. Dieu a créé l’Homme séparément des animaux et aucune évolution ne s’est produite depuis. Tous les êtres vivants sont aujourd’hui exactement tels qu’ils étaient lors de leur création • C.. Dieu a créé les premiers hommes et les animaux. Depuis, ils se sont transformés pour devenir tels qu’ils sont aujourd’hui Q13b : explique pourquoi tu as choisi cette réponse ?
Les élèves et l’évolution • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) Richesse des réponses obtenues qui montre que les élèves possèdent de nombreuses connaissances. • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué
Les élèves et l’évolution • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué
Les élèves et l’évolution Les girafes ont toujours eu un long cou (80%) ; les éléphants n’ont pas toujours été les mêmes (55%) et les mammouths sont leurs ancêtres (73%) ; • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • Les girafes ont toujours eu un long cou (80%) ; les éléphants n’ont pas toujours été les mêmes (55%) et les mammouths sont leurs ancêtres (73%) ; • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué
Les élèves et l’évolution Les hommes ont toujours existé sur Terre (60%) mais ils ne ressemblaient pas aux hommes d’aujourd’hui (84%) ; • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • Les girafes ont toujours eu un long cou (80%) ; les éléphants n’ont pas toujours été les mêmes (55%) et les mammouths sont leurs ancêtres (73%) ; • Les hommes ont toujours existé sur Terre (60%) mais ils ne ressemblaient pas aux hommes d’aujourd’hui (84%) ; • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué
Les élèves et l’évolution • Hommes et singes sont liés (84%) ; • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • Les girafes ont toujours eu un long cou (80%) ; les éléphants n’ont pas toujours été les mêmes (55%) et les mammouths sont leurs ancêtres (73%) ; • Les hommes ont toujours existé sur Terre (60%) mais ils ne ressemblaient pas aux hommes d’aujourd’hui (84%) ; • Hommes et singes sont liés (84%) ; • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué
Les élèves et l’évolution L’homme n’a pas chassé les dinosaures (77%) parce qu’ils n’ont pas cohabité (70%) mais a pu chasser le mammouth (80%) ; • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • Les girafes ont toujours eu un long cou (80%) ; les éléphants n’ont pas toujours été les mêmes (55%) et les mammouths sont leurs ancêtres (73%) ; • Les hommes ont toujours existé sur Terre (60%) mais ils ne ressemblaient pas aux hommes d’aujourd’hui (84%) ; • Hommes et singes sont liés (84%) ; • L’homme n’a pas chassé les dinosaures (77%) parce qu’ils n’ont pas cohabité (70%) mais a pu chasser le mammouth (80%) ;
Les élèves et l’évolution Dieu a créé les premiers hommes et les animaux. Depuis, ils se sont transformés pour devenir tels qu’ils sont aujourd’hui (50%). • Des connaissances (en caractères droits et noirs) en accord avec le savoir constitué • Des connaissances (en italique et couleur) en désaccord avec le savoir constitué • À propos des connaissances sur l’évolution (au regard de notre échantillon) • Les animaux ont toujours existé sur Terre (70%) mais ils étaient différents de ceux d’aujourd’hui (90%) ; • Les girafes ont toujours eu un long cou (80%) ; les éléphants n’ont pas toujours été les mêmes (55%) et les mammouths sont leurs ancêtres (73%) ; • Les hommes ont toujours existé sur Terre (60%) mais ils ne ressemblaient pas aux hommes d’aujourd’hui (84%) ; • Hommes et singes sont liés (84%) ; • L’homme n’a pas chassé les dinosaures (77%) parce qu’ils n’ont pas cohabité (70%) mais a pu chasser le mammouth (80%) ; • Dieu a créé les premiers hommes et les animaux. Depuis, ils se sont transformés pour devenir tels qu’ils sont aujourd’hui (50%).
Les élèves et l’évolution • À propos de l’influence des institutions extrascolaires • Corrélation statistiquement significative entre niveau socioculturel et choix du modèle « Évolution » • Corrélation statistiquement significative entre éducation religieuse déclarée et choix du modèle « Création + Évolution » ; pas d’influence de la nature de la religion • Rapport personnel de type « évolutionniste » qui prédomine chez les élèves issus des écoles « favorisées » • Rapport personnel de type « concordiste » dominant chez les élèves des écoles « non favorisées »
Du côté des enseignants • Un corpus de connaissances significatives • Une absence d’une vision concordiste • Un enseignement qui est présent à l’école primaire du fait de l’injonction des textes mais dans des proportions très variables • Une formation à développer
Du côté des élèves • Les élèves baignent dans un bain évolutionniste mais qui reste flou, • Des difficultés et des obstacles à prendre en compte
Un enseignement fondamental dès l’école primaire • Un enseignement délicat du fait de la complexité du concept et l’existence d’éventuelles résistances Question qui reste posée Que faire dès l’école primaire pour installer les bases d’une conception évolutionniste ? Quels préalables indispensables ?
Un enseignement précoce • Un enseignement explicite qui doit faire une place à la dimension historique, à la dimension langagière (polysémie), voire à la controverse afin de délimiter les magistères (dans l’école, hors de l’école) • Un enseignement concret sans pour autant le réduire aux faits ostensibles de l’évolution • Un apprentissage qui a ses limites à l’école primaire mais qui doit permettre la construction du cadre temporel dans lequel s’inscrit le processus évolutif • Une formation efficace des enseignants, en inscrivant le concept dans sa dimension plurielle (scientifique, historique, sociale, philosophique)
L’acquisition d’un premier niveau de conceptualisation de l’évolution à l’école primaire peut permettre de contrer des visions plus radicales qui s’installeraient à l’adolescence au nom de la recherche d’une identité (au travers de la religion, par exemple).
Après cette étude, des axes possibles de recherche • Des propositions curriculaires (programme, contenus, mises en œuvre) sur la base d’observations de classe • Une étude similaire avec des élèves de collège • Une formation des maîtres qui permette le croisement de points de vue (rapport institutionnel/rapport personnel) – Séminaire E2 INRP, Lyon 1 et Montpellier 2 • Une réflexion sur l’utilisation et/ou la conception de modèles afin de travailler l’obstacle du rapport au temps long - Séminaire Didactique de la Géologie
Pour conclure «Au cours des siècles, la science a infligé deux blessures à l'amour-propre de l'humanité : la première, lorsqu'elle a montré que la Terre n'est pas le centre du monde mais un point minuscule dans un univers d'une dimension à peine concevable ; la seconde, quand la biologie a frustré l'homme du privilège d'avoir fait l'objet d'une création particulière et a mis en évidence son appartenance au monde animal.» Sigmund Freud – Introduction à la psychanalyse - 1916